UN RAPPORT DÉNONCE LES MESURES ABUSIVES DE CONTRÔLE FRONTALIER ET LES LISTES D’INTERDICTION DE VOL

Le Canada doit s'opposer aux nouvelles mesures sur le transport aérien des USA

[le 13 janvier 2009 12 h 06]

Ottawa, le 11 décembre 2008

L'honorable John Baird
Ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités
Tour C - 330, rue Sparks
Ottawa, Ontario K1A 0N5

Monsieur le Ministre,

Je vous écris au nom de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) pour vous demander de vous opposer énergiquement aux nouvelles mesures sur le transport aérien des États-Unis (Secure Flight) - qui entraîneront de graves conséquences pour les voyageurs canadiens et les personnes désirant visiter le Canada.

En vertu de ce programme controversé, marqué par des scandales sur la protection de la vie privée au cours des six dernières années, ce sont les autorités américaines qui décideront quels passagers pourront monter à bord d'un avion survolant l'espace aérien étatsunien, même si ces vols ne se posent pas aux États-Unis.

Comme l'a indiqué à juste titre votre prédécesseur l'honorable Lawrence Cannon l'an dernier, ces mesures auront un impact important sur la souveraineté du Canada et le droit à la vie privée de ses citoyens. Le 22 novembre 2008, ce dernier a demandé aux États-Unis que « tous les appareils effectuant des vols entre le Canada et des pays tiers et survolant les États-Unis soient exemptés du Secure Flight Program. »

L'administration Bush, qui a publié les règlements de Secure Flight en octobre 2008, n'a toutefois pas tenu compte des demandes canadiennes et a choisi d'exempter uniquement les « vols qui traversent l'espace aérien des États-Unis continentaux entre deux aéroports ou lieux dans le même pays, que ce pays soit le Canada ou le Mexique. »

La souveraineté du Canada est en jeu. Ces nouveaux règlements signifient que ce sont les États-Unis qui décrèteront si un voyageur a le droit de quitter ou de se rendre au Canada en avion, puisque la grande majorité des vols canadiens à destination et au départ d'Europe, des Caraïbes et de l'Amérique latine survolent l'espace aérien américain. Dans ces circonstances il est probable que Secure Flight contreviendra aux droits des Canadiens reconnus par la Charte ainsi qu'à leur droit à la vie privée. Ces mesures soulèvent aussi des doutes sérieux quant à la capacité du Canada de mettre en œuvre de véritables politiques indépendantes relatives aux visas, à l'immigration, à la protection des les réfugiés et au commerce international.

La divulgation de renseignements personnels au ministère de la Sécurité intérieure des États-Unis (Department of Homeland Security - DHS) sur des passagers à destination de certains pays - notamment Cuba - pourrait aussi avoir des conséquences désagréables. Par exemple, cette information pourrait être utilisée afin d'identifier des compagnies canadiennes qui entretiennent des relations commerciales avec Cuba ou pénaliser des voyageurs qui y ont séjourné en leur refusant par la suite la permission de se rendre aux États-Unis. Comment le Canada entend-il s'assurer que Washington ne se servira pas du programme Secure Flight pour appliquer sa loi Helms-Burton qui prévoit des sanctions contre les compagnies étrangères qui font affaire avec Cuba ?

Secure Flight aura un impact important sur le droit à la vie privée des Canadiens. Lorsque les voyageurs voudront réserver une place sur un vol transitant l'espace aérien américain, ils seront tenus de fournir leur nom, sexe, date de naissance et le numéro de redressement émis par le DHS aux voyageurs (Travel Redress Number) s'ils en possèdent un. Cette information sera fournie au DHS et aux fonctionnaires des douanes (U.S. Customs and Border Protection) 72 heures à l'avance. C'est le DHS qui indiquera à la compagnie aérienne si elle peut émettre une carte d'embarquement, refuser la permission de voyager ou émettre une carte d'embarquement portant la cote SSSS (indiquant que le voyageur doit subir un contrôle supplémentaire). Ces règlements permettront aux autorités américaines d'avoir accès à un vaste ensemble de données, notamment l'Information préalable sur les voyageurs (Advanced Passenger Information) sur tous les passagers, même ceux qui n'ont pas l'intention de se rendre aux États-Unis mais dont le vol emprunte l'espace aérien américain.

Présentement, les noms des passagers à destination des États-Unis sont contrôlés par les compagnies aériennes à partir de la liste étatsunienne sur les personnes interdites de vol (US No-fly list). En vertu de Secure Flight, les noms de tous les passagers et leurs renseignements personnels seront contrôlés par le DHS qui aura donc accès aux dossiers complets des voyageurs. Il est donc trompeur de dire que Secure Flight est un programme de sécurité puisqu'il a toutes les caractéristiques d'une vaste infrastructure de surveillance et de contrôle ciblant tous les voyageurs, que leurs noms apparaissent sur une liste de surveillance ou non. Comme l'a récemment souligné le président intérimaire de l'Association du transport aérien du Canada (ATAC) Mike Skrobica ce nouveau programme équivaut à « la perte d'information personnelle et crée un mauvais précédent. »

Qui plus est, en vertu de Secure Flight, les passagers risquent aussi de se faire intercepter pour fin de contrôle, en raison de leur comportement ou leurs habitudes de voyage. Les États-Unis pourront aussi contrôler les passagers, non seulement à partir des listes terroristes mais aussi à partir de « bases de données gouvernementales, comme des bases de données des services du renseignement sur la sécurité ou des agences de maintien de l'ordre ».

Les règlements qui viennent d'être publiés sont extrêmement inquiétants tant pour ce qu'ils révèlent, que pour ce qu'ils passent sous silence. On n'y fait nullement mention des normes ou des procédures administratives, ni comment les autorités en arriveront à la décision d'émettre ou pas les cartes d'embarquement. Il n'y a pas non plus de mécanismes permettant aux voyageurs de connaître les motifs d'un refus et les décisions du DHS ne seront pas assujetties à une garantie de procédure régulière ou à un mécanisme d'examen judiciaire.

La CSILC vous exhorte à vous opposer fermement et dans les plus brefs délais à ce programme qui aura de graves conséquences pour les voyageurs canadiens et les personnes désirant visiter le Canada. Les Canadiens et les Canadiennes comptent sur leur gouvernement afin de protéger la souveraineté de leur pays et leurs droits fondamentaux.

Veuillez agréer Monsieur le ministre, l'expression de mes meilleurs sentiments.

Gerry Barr

Coprésident de la CSILC et président-directeur général du Conseil canadien pour la coopération internationale